Immobilier : le hors norme a la cote
Ancienne église ou couvent, usine, cabanon, maison forte, moulin… Les biens hors normes ont le vent en poupe. Même si en être l’heureux propriétaire n’est pas toujours une sinécure !
C’est lors d’un jogging matinal à Pornic, en pays de Retz, que Louis a remarqué, plantées au bord du littoral, d’insolites cabanes montées sur pilotis. Singularité de la côte vendéenne, ces pêcheries datant de l’époque de Colbert et identifiées sur les cartes marines permettaient de générer des revenus pour la veuve et l’orphelin. Immédiatement séduit par ces témoignages du passé, Louis s’est rendu en 2010 à la Délégation à la mer et au littoral de Saint-Nazaire pour réclamer un permis de construire. Deux ans plus tard, il devenait l’heureux propriétaire d’une pêcherie de 9 m2.
Construite par un charpentier de marine, perchée à 8 mètres au-dessus du sol et repérable à son grand mât, purement décoratif, cette construction minimaliste fermée d’une large baie vitrée lui sert d’endroit pour se ressourcer, organiser des pique-niques ou des apéritifs entre collègues et amis. Il y a même écrit son premier livre dédié à l’économie responsable. « Je voulais faire de cette cabane un lieu fondateur, en harmonie avec les éléments naturels, idéal pour déconnecter du monde moderne », explique-t-il.
Louis a équipé l’espace d’un barbecue, de canapés et de matelas pour les nuits à la belle étoile éclairées par le phare de l’île de Noirmoutier située juste en face. « On ressent la même sensation qu’être dans un arbre, à savoir un sentiment de sécurité et de proximité avec la nature », ajoute-t-il. Scellée dans la roche, la pêcherie demeure immobile contre vents et marées.
COUP DE COEUR
Ce genre de coup de foudre immobilier, tous les propriétaires de bien atypique l’ont un jour connu. C’est le cas de Marie, 62 ans. Après avoir quitté Paris il y a sept ans, cette ancienne cadre de banque, avide de calme et de campagne, est venue s’installer à Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais). Elle a jeté son dévolu sur une grange, qui avait servi de chapelle aux habitants de la ville après la Révolution française. Totalement désaffecté, le bâtiment était une page blanche à réécrire. « Dès que je suis entrée, j’ai su que j’y vivrai. Il n’y avait rien, seulement de la terre battue au sol, mais je ressentais l’histoire de ces murs, comme une âme entre ces pierres », raconte Marie.
Dans l’heure, elle signait le compromis de vente. Passé le moment d’euphorie, la réalité des travaux l’a rattrapée. Il lui a fallu cinq mois de démarches administratives, notamment pour obtenir le feu vert des architectes des Bâtiments de France, la grange s’inscrivant dans l’environnement de monuments classés, avant que le gros oeuvre ne commence. Assainissement, murs à redresser, isolation, raccordement à l’eau, au tout-à-l’égout, à l’électricité et au téléphone : tout était à refaire ! « Après deux ans et demi de travaux, je réalise l’ampleur du projet dans lequel je m’étais lancée. Une tâche de longue haleine, avec, pour chaque étape de la rénovation, de nouveaux délais pour cause de contraintes techniques », concède celle qui a largement payé de sa personne dans la réhabilitation de la grange.
Accompagnée par l’artisan britannique – devenu depuis son compagnon – qui a réalisé l’ensemble de ses travaux, Marie n’attend qu’une chose : vivre enfin dans la maison de ses rêves. Un souhait qui devrait être exaucé au printemps 2020.
ALLERGIQUES AUX TRAVAUX, S’ABSTENIR
L’étape travaux est un incontournable de l’habitat atypique. Reynald et Corinne en savent quelque chose. Lorsqu’ils ont craqué pour le « Petit Moulin », un moulin restauré daté de 1870 et situé au coeur du village de Ry – où, pour la petite histoire, Gustave Flaubert a écrit Madame Bovary -, ils avaient en tête un projet professionnel. « Nous voulions une propriété que nous pourrions transformer en gîte. Le moulin était habitable en l’état, mais nous l’avons entièrement aménagé et rénové pour cette activité », témoigne l’ancien propriétaire des lieux. Aujourd’hui en vente, l’établissement a fonctionné jusqu’en 2018. Niché en pleine nature et bordé par la rivière, l’endroit a bénéficié d’un bouche à oreille favorable durant sept ans.
Si le couple a souhaité conserver le caractère initial de cette vaste bâtisse en brique de 470 m2, ils en ont modernisé l’intérieur et fait couvrir (et chauffer) la grande piscine extérieure. Un investissement complété par une aide départementale de 1 500 euros pour l’ouverture du gîte. « Le prix du bâtiment était élevé, mais nous avons eu le malheur de le visiter », se souvient Reynald qui l’admet volontiers : un tel bien demande du temps et de l’argent. Au prochain acquéreur, il suggère la remise en état de la turbine du moulin, aujourd’hui inopérante. « Remettre en route cette turbine assurerait l’autonomie énergétique du bâtiment grâce à la puissance produite par la rivière 24 heures sur 24 », informe-t-il.
Bien qu’amoureux de ce petit coin de paradis, le couple de quinquagénaires aspire à une surface plus modeste, mais toujours avec ce petit supplément d’âme qu’ils ne cessent de rechercher. « Vivre dans un pavillon neuf ? Ce n’est pas pour nous. Nous privilégierons toujours les biens de caractère », résume Reynald. Quitte à y mettre un peu plus.
UN MARCHÉ DE NICHE… QUI GRANDIT
À croire Freddy Rueda, propriétaire de l’agence realestatelanguedoc.com à Béziers, l’atypique a un prix. « Les gens vont accepter de payer un bien 20 à 30% plus cher pour avoir quelque chose d’unique. Plus qu’une question de coup de coeur, c’est une question de rareté », assure ce dernier, qui confie n’enregistrer qu’une poignée de ventes de ce type par an.
Si le marché des biens atypiques reste un secteur confidentiel, il est cependant en voie de démocratisation. Bâti ancien rénové, usines transformées, souplex, moulins ou encore péniches représentent ainsi 10% du marché de l’immobilier, contre 5% il y a encore dix ans, observe Julien Haussy, fondateur du réseau d’agences Espaces Atypiques : « D’un marché de niche, on est passé à un véritable segment de marché où l’on voit augmenter le nombre de biens originaux. » Avec un million de biens atypiques disponibles en France, la demande – soutenue par une tendance à la décoration et au faire soi-même – dépasse aujourd’hui l’offre. « J’avais besoin de faire des choses de mes mains, de plus concret que mon métier de banquière », relate Marie, qui affirme qu’en mettant la main à la pâte, elle a pu contenir son budget travaux.
La bonne santé du marché attire également les investisseurs. Souvent éligibles aux dispositifs Malraux ou Monuments historiques, les biens anciens à rénover permettent au contribuable de réduire ses impôts ou de faire baisser son taux marginal d’imposition. « Derrière le désir de se constituer un patrimoine en acquérant un beau bien ancien et atypique, la motivation est aussi et surtout fiscale », note Loïc Guinchard, directeur commercial chez Buildinvest.
La société de gestion s’est spécialisée dans la reconversion d’immeubles de centre-ville. À Senlis, elle a ainsi transformé un ancien couvent du xixe en logements ouverts à l’investissement locatif. Sur le moyen-long terme, c’est aussi une façon de placer l’argent perçu après la cession d’une entreprise. Si le rachat a lieu dans les six mois qui suivent, on gomme ainsi la plus-value de cession.
DES CLIENTS PAS COMME LES AUTRES
Personnes à forte sensibilité artistique, architectes-décorateurs, ou encore amoureux des vieilles pierres, la clientèle de l’atypique présente des profils variés, avec quelques caractéristiques communes. « Ce sont souvent des acheteurs qui eux-mêmes ont déjà possédé par le passé des biens atypiques », souligne Freddy Rueda. Celui-ci évoque, notamment, un client féru de mer qui s’est acheté un sémaphore en Bretagne, ou ce couple de Parisiens, fonctionnaires au ministère des Finances, qui a fait d’une ancienne église sa résidence secondaire.
« Les clients qui ont le luxe de choisir leur habitat en fonction de leurs goûts et non de sa localisation sortent en général du cadre familial traditionnel. Ils n’ont pas d’enfants à inscrire à l’école, se moquent de vivre loin d’une grande ville et bénéficient d’une certaine liberté professionnelle », pointe Julien Haussy. Les Britanniques se montrent particulièrement friands de ces biens, même si leur proportion, parmi les acheteurs, tend à baisser. « Avant la crise de 2008, les clients étrangers représentaient environ 50% des acquéreurs, quand aujourd’hui 80% sont des Français », révèle Adrian Bannock, consultant chez Barnes.
Devenus trop âgés, certains propriétaires sont aussi contraints de vendre. L’agent immobilier se souvient de cette nonagénaire prête à brader son abbaye réaménagée en château d’une surface de 400 m2 avec 700 m2 de dépendances pour 300 000 euros… Mais le triple en travaux ! Car la condition sine qua non de celle-ci était de céder son bien en l’état – et rien n’avait changé en cent ans – avec l’intégralité des possessions de la famille à l’intérieur. Le chantier titanesque n’a pas découragé un couple de jeunes acheteurs, tombés sous le charme de la noble maison basque avec pierres apparentes et de ses grands espaces à vivre.
COMPÉTENCES EXIGÉES
Une chose est sûre, les biens atypiques anciens n’ont pas été conçus pour nos modes de vie contemporains. Oubliés le puits de lumière, le double séjour-salle à manger, la suite parentale et la cuisine ouverte équipée. Comme le rappelle Freddy Rueda, « rien n’est normal dans ces espaces ». Dans l’ancienne gare réhabilitée de Gabian (Hérault), le hall a été converti en une spacieuse pièce principale de 150 m2 mais les chambres ne dépassent guère les 9 m2 . « Les gens qui ont acheté il y a vingt, trente ans ou plus, n’avaient pas les mêmes exigences que les acheteurs d’aujourd’hui », remarque Adrian Bannock.
Salles de bains et cuisines sont souvent absentes de ces bâtisses qui n’étaient pas à l’origine destinées à être habitées. En revanche, les volumes sont hors normes. Les anciennes églises, notamment, disposent d’une hauteur sous plafond exceptionnelle. La rénovation de ces biens requiert, par conséquent, les compétences d’artisans spécialisés. Et de connaître certaines règles.
Deux possibilités : soit le bâtiment est classé et le propriétaire doit se soumettre à l’avis des architectes des Bâtiments de France, ce qui peut rapidement démultiplier les coûts des travaux. « Celui dont nous dépendions a rechigné à ce que je pose des fenêtres de toit dans les chambres du moulin. Il souhaitait que j’utilise du bois d’origine, taillé sur mesure pour l’encadrement des fenêtres », se remémore Reynald. Heureusement pour lui, sa demande a été, in extremis, validée. Soit le bien n’est pas classé, ce qui n’empêche pas de se conformer aux règles d’urbanisme en vigueur. « Le chantier sera de toute façon plus compliqué à cause de la configuration atypique du bien », estime Freddy Rueda.
Rendre habitables des espaces réduits, biscornus, étroits ou tout en hauteur est un défi d’architecte. Surtout lorsque les propriétaires – et c’est la majorité des cas – entendent conserver l’aspect originel du bien tout en l’équipant du confort moderne. Des contraintes d’ordinaire supportables pour un public averti, habitué aux aléas de la réhabilitation.
VERS PLUS DE SIMPLICITÉ
D’aucun optent pour des choix encore plus radicaux. Il y a sept ans, François est littéralement tombé amoureux des maisons troglodytes, typiques de la vallée de la Loire. Ancien propriétaire d’un site touristique troglodytique à Turquant, il loue depuis trois ans une maison de 83 m2 taillée dans le tuffeau dans le village de Couziers, non loin de l’abbaye de Fontevraud. « Je me sens bien sur Terre quand je suis sous terre : j’ai l’impression de vivre dans un cocon, protégé de l’extérieur », indique ainsi ce passionné.
Comme tous les habitats troglodytes, sa maison se compose d’une grande pièce principale avec une cheminée située près de la porte d’entrée et d’une fenêtre. « À l’époque, cet agencement permettait aux paysans de retour des champs d’allumer le feu à la lumière du jour », relève François qui se plaît à vivre comme le faisaient nos grands-parents : « Il faut se souvenir que l’on vit dans la pierre et que celle-ci respire. Une ventilation est donc obligatoire, été comme hiver », poursuit-il. Si lui a choisi la méthode manuelle, en ouvrant fenêtres et portes en toutes périodes de l’année, d’autres préfèrent toutefois le confort d’une VMC à double flux !
Le retour à une vie plus simple est souvent l’une des motivations à changer d’habitat. Julien Schira a commencé par vivre dans une yourte mongole en Ariège pendant presque deux ans. « Je n’avais ni l’envie ni les fonds pour investir dans une maison et l’on m’a prêté un terrain pour poser ma yourte », dit-il. La tente de 35 m2 (un T1 parisien !) disposait d’un poêle à bois intérieur et bénéficiait d’un accès à l’eau et à l’électricité. Toutefois, les écarts thermiques et la pénibilité du quotidien ont eu raison de ce mode de vie. Julien a finalement acheté un ancien corps de ferme à rénover.
« La yourte est malheureusement mal adaptée à la France. Il y fait 25 °C lorsque l’on chauffe et – 5 °C le matin au réveil. Cela fonctionne en Mongolie parce que les habitants se lèvent toutes les deux heures pour surveiller leur troupeau et recharger le poêle, mais pas pour un Européen qui dort 8 heures par nuit », confie Julien Schira qui a fondé l’entreprise d’habitats légers et alternatifs Habitats insolites, spécialisée dans les roulottes et micro-maisons (aussi appelées « Tiny Houses »).
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Reconnu juridiquement depuis le 20 janvier 2014 dans le nouveau cadre de la loi Alur (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové), le marché de l’habitat alternatif intéresse de plus en plus de Français. Issues du Tiny House Movement, un mouvement architectural et social initié à la fin des années 1990 à Portland (Etats-Unis), les micro-maisons ont conquis l’Amérique avant de s’implanter en Europe il y a cinq ans. La surface de ces logements n’excède pas les 25 mètres carrés pour un prix d’achat maximal de 40 000 euros. « Il s’agit d’adopter une philosophie de vie minimaliste. On peut difficilement revenir en arrière quand on s’est délesté de la majorité de ses vêtements, livres et objets », prévient Julien Schira. Difficile, également, d’imaginer partager ces espaces avec un animal domestique ou même… des enfants.
Si 50% des clients d’Habitats insolites sont des particuliers décidés à changer de vie, de façon transitoire ou définitive (un grand patron du CAC 40 se serait ainsi offert une cabane dans les bois pour rompre avec la vie urbaine le week-end), l’autre moitié investit dans ces habitats pour la location. Il faut compter environ 60 à 70 euros la nuitée pour une cabane nature et de 115 à 120 euros pour une roulotte.
Pour Xavier Marchioni, cofondateur de Jelouebien.com, ces habitats légers sont une réponse économique et écologique à la pression du foncier dans les grandes communes. « On va voir pousser dans les banlieues ou dans les zones éloignées des centres-villes des logements atypiques, plus autonomes en termes d’énergie et d’isolation et qui deviendront sans doute la norme d’ici dix à douze ans », annonce-t-il.
Reste aux mairies à accepter l’installation de ces habitats d’un nouveau genre. Pour l’heure, celles-ci distribuent les permis de stationner au compte-gouttes. Mais Xavier Marchioni en est convaincu : le législateur suivra le mouvement, poussé par les jeunes générations soucieuses de l’environnement et par l’accroissement de la population, sur un marché de l’immobilier toujours plus tendu.
À Senlis (Oise), le couvent Saint-Joseph, bâtisse du xixe siècle, a été entièrement transformé en 2018 pour accueillir 46 logements et 92 parkings. Les travaux ont été confiés à l’architecte Philippe Lemonnier, expert dans la réhabilitation de bâtiments anciens. Actuellement commercialisée par le groupe Buildinvest, spécialiste de l’immobilier de rénovation et de défiscalisation immobilière, cette résidence située dans le centre ancien de la ville médiévale (classé secteur sauvegardé) est éligible au dispositif Malraux.
Plusieurs dispositifs, destinés à favoriser la réhabilitation de l’immobilier ancien, offrent des avantages fiscaux aux acquéreurs et investisseurs. Revue de détail.
Loi Malraux : En échange de la restauration du bien, il est consenti au contribuable investisseur une réduction d’impôt de 22 à 30%, calculée sur le montant des travaux, et qui peut s’étaler sur une durée de quatre ans. Pour bénéficier de ce dispositif, le bien doit se situer en zone sauvegardée.
Monuments historiques : Ce dispositif consiste à acquérir un bien immobilier classé, le rénover et le conserver pendant quinze ans. En contrepartie, il permet à un investisseur de déduire de son revenu global l’intégralité des dépenses de travaux liées à l’entretien et aux réparations. Les autres charges, y compris les intérêts d’emprunt, sont déductibles à 100% si le bien est loué ou ouvert au public et à 50% s’il est occupé par son propriétaire.
Denormandie ancien : Entré en vigueur le 1er janvier dernier, ce dispositif s’applique aux biens acquis entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2021, dans le centre de l’une des 222 villes éligibles au programme. Le propriétaire s’engage à louer le bien pendant six, neuf ou douze ans, en respectant les plafonds de loyers et de ressources fixés par le gouvernement. Il doit effectuer des travaux représentant au moins 25% du coût de l’opération (achat du bien, montant des travaux et frais de notaire inclus) dans une limite maximale de 300 000 euros.
Déficit foncier : On parle de déficit foncier lorsque les charges (travaux de réparation, entretien, charges de copropriété, primes d’assurances, intérêts d’emprunt, taxe foncière…) sont plus importantes que les loyers perçus. Ce déficit est déductible du revenu global dans la limite de 10 700 euros par an et à condition que le bien soit loué jusqu’au 31 décembre de la troisième année qui suit l’imputation du déficit.
Longtemps controversé, l’habitat alternatif a été légalisé dans le nouveau cadre de la loi Alur (loi pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové) adoptée le 20 janvier 2014. Ces structures minimalistes appelées HLL (Habitations légères de loisirs) ne nécessitent pas de permis de construire, mais un permis de stationner, accordé par la mairie. Les terrains accueillant ces habitations sont soumis à un « régime de déclaration préalable ou de permis d’aménager ». Ils doivent également être reliés aux réseaux d’eau potable, d’électricité et d’assainissement.
Qu’est-ce qui explique l’engouement des Français pour les habitats atypiques ?
Cette tendance est probablement révélatrice de la sortie d’une certaine modernité. Lassés du productivisme du xxe siècle où l’on a fait table rase de la mémoire, les gens reviennent vers des constructions davantage en lien avec la nature et l’histoire. Fini de rêver à la maison ultramoderne, on s’intéresse davantage au patrimoine. Cette nécessité de s’inscrire dans l’histoire du bâti s’accorde avec l’idée d’un nécessaire changement de valeurs. Le fait de réhabiliter un lieu, par exemple, participe d’une évolution culturelle sensible, qui s’inscrit dans le nouveau paradigme d’un développement durable social, économique et environnemental qui serait aussi mémoriel.
Les Tiny Houses en sont-elles l’expression ?
Les habitats légers entrent en cohérence avec le contexte économique. La distorsion toujours plus importante entre le revenu des ménages et le coût de l’immobilier conduit les gens à s’y intéresser. Avec l’accumulation des normes, la multiplication des intervenants dans la construction, les nouveaux labels et les contrôles, le prix de la construction flambe. Dans le parc social, par exemple, un mètre carré construit pour 1 200 euros sortira, au prix de vente final, à 2 800 euros et bien plus dans le secteur privé. Par ailleurs, nous entrons dans une époque où nous prenons conscience de la finitude des choses, que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables. Ce double facteur culturel et conjoncturel environnemental est à l’origine de nouvelles formes d’habitat.
Que dit de nous notre habitat ?
Pendant longtemps, l’urbanisme moderne consistait à mettre le plus de monde possible dans le plus petit espace possible en isolant les individus. Cette logique répondait aux problématiques posées par la révolution industrielle, avec une concentration de population dans les villes et une augmentation des besoins en logements. Symboliquement, les gens ont réagi contre cela en rejetant les barres et les tours d’immeuble qui ont fleuri au siècle dernier. La question de l’identité est devenue majeure et l’affect déterminant dans l’achat d’un logement. L’affectif, justement, c’est le fait de tisser des liens avec son logement. La possibilité aujourd’hui de participer à la construction de notre habitat et du monde qui nous entoure est devenue primordiale. Le drame, ce sont ces bâtiments dénués de poésie, coupés du passé et sans aucune trace de l’homme, du travail et des vies humaines.
Allons-nous construire nous-mêmes nos maisons ?
L’auto-construction se heurte à la réglementation française et il est difficile d’obtenir un accord de permis de construire. La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 (LOPPSI) vise à interdire tous les habitats non conformes. Il est très difficile, par exemple, d’installer des yourtes dans une ZAC d’aménagement : les élus municipaux ont la hantise qu’elles se transforment en un camp précaire à jamais inachevé ! De plus, les garanties telles que la GFA (garantie financière d’achèvement) demandées par les banques pour emprunter et les normes exigibles en cas de cession rendent l’auto-construction presque impossible en France.
À quoi ressemblera l’habitat de demain ?
Malgré tout, nous sommes progressivement en train de gagner une bataille : celle de la participation. Je suis convaincu que la participation dans l’habitat va s’imposer économiquement et philosophiquement. Le siècle prochain sera collaboratif ou ne sera pas. Cela développera les « circuits courts » dans l’immobilier, dans lesquels les gens pourront s’impliquer et s’engager dans la conception, voire la finition de leur lieu de vie. La production de masse est désormais révolue. Si l’on suit le mot d’Hölderlin, « L’homme habite en poète », nous devrions tous pouvoir faire les choses par nous-mêmes car là se trouve la vraie poésie, du grec poïen : faire. De plus, c’est en construisant ensemble que l’on se construit comme communauté. C’est l’acte fondateur de toute société.
Propos recueillis par E. D.
* Architecte et docteur en philosophie à l’université Toulouse-Jean-Jaurès (ex-Toulouse II-Le Mirail).