Faut-il investir dans une ville moyenne ?
Faut-il investir dans une ville moyenne ?
Acheter pour louer avec une fiscalité allégée est possible, mais les conditions sont légion
Des rues aux commerces fermés, des immeubles non occupés, dégradés : telle est la situation de certains centres-villes, hors des métropoles. Afin de redonner du dynamisme à ces communes moyennes en difficulté, le gouvernement a lancé, fin 2017, Action cœur de ville, un plan qui vise à financer des pro jets de réhabilitation et de développement économique, avec un budget de 5 milliards d’euros sur cinq ans. Aurillac, Blois, Chinon, Bayonne, Ajaccio, Douai, Lisieux, Albi, Béthune, etc. : sont ainsi con cernées près de deux cent cinquante villes aux profils et aux tailles variés (de 9 000 à 130 000 habitants, environ).
Investir dans ces secteurs pour rénover des logements et les mettre en location peut permettre, depuis début 2019, de bénéficier du dispositif Denormandie, une réduction d’impôt équivalente à 12 % du prix de revient (calculée sur 300 000 euros maximum, incluant les frais de ré novation) pour une location de six ans, 18% pour neuf ans et 21 % pour douze ans. Parmi les conditions : le loge ment doit faire l’objet de travaux importants (au moins 25 % du coût total de l’opération), être loué au moins six ans, avec un loyer plafonné, et à des locataires aux ressources elles aussi plafonnées.
Après des débuts poussifs, le dispositif Denormandie fait-il finalement des émules ? Il n’y a pour l’heure pas de chiffres officiels, la direction générale des finances publiques n’a pas encore compilé les données issues des déclarations de revenus remplies en 2020, portant sur les revenus et investissements de 2019.
Des littoraux dynamiques
Certains maires nous disent toutefois que le système commence à prendre et que les investisseurs re viennent au centre-ville. C’est le cas à Carcassonne (Aude) ou à Saint-Quentin, dans l’Aisne. Quelques villes comme Colmar, dans le Haut-Rhin, Saint-Malo, en Ille-et-Vilaine, La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte, en Vendée, sont également dynamiques », constate Rollon Mouchel-Blaisot, directeur du programme national Action cœur de ville. Avec leurs prix au mètre carré généralement plus accessibles que dans les grandes agglomérations, permettant de s’offrir de plus grandes surfaces pour le même budget, et la présence de maisons avec jardin, les villes moyennes pourraient en outre voire leur attractivité dopée par le confinement et par le contexte sanitaire et économique. Un sondage IFOP mené en juillet 2020 indique qu’avec « l’essor du télé travail », près d’un quart des habitants des villes souhaiteraient dé ménager. Et que s’ils pouvaient choisir, la moitié des habitants des grandes villes souhaiteraient habiter dans une ville moyenne. Un baromètre des notaires al loué aux villes d’Action cœur de ville montre d’ailleurs un certain dynamisme des communes con cernées en matière de transactions immobilières, même avant la crise sanitaire : en 2019,126545 ventes y ont été conclues contre 114665 en 2018. « Peuvent ainsi être considérés comme dynamiques cent quarante-huit cœurs de ville, notamment ceux situés sur ou près des littoraux », détaille Marie-Hélène Pero, porte-parole du conseil supérieur du notariat, citant Brignoles, Arles, Sète, Agde, Quimper, Lorient, Vannes. Il est trop tôt pour savoir si ces tendances se confirmeront en 2020. Faut-il pour autant se lancer ? « Le Denormandie reste un dispositif très complexe pour les parti culiers », répond Laurence Dechaux, responsable des investissements immobiliers chez Thésaurus, société de conseil en gestion de patrimoine. Travaux obligatoires, loyers et ressources des locataires plafonnés : les contraintes sont en effet fortes, même si les conditions d’accès ont été quelque peu allégées dé but 2020 – l’ensemble de la ville est désormais éligible, pas que le centre, s’il s’agit d’une « zone de bâti continu », et la liste des tra vaux possibles a été élargie. Avant de se lancer, le particulier doit s’assurer qu’il répondra à tous les critères pour profiter du dispositif Denormandie. « Pour être sûr de ne pas se tromper, il faudrait des opérations clés en main montées par des professionnels qui choisit raient la ville, le bien, calculeraient la rentabilité et mèneraient les tra vaux, mais pour l’instant, elles sont rares », regrette Loïc Guinchard, directeur commercial chez Buildinvest, un des seuls opérateurs à proposer ce type de programme, notamment à Limoges.
Bien connaître la ville
Autre incertitude pour l’investisseur : parviendra-t-il à louer le logement, la rénovation terminée ?
La situation du marché locatif est très variable selon les villes. Montluçon, Lunéville, Issoire, Brignoles ou Vierzon sont risquées car elles présentent des taux de vacance locative supérieurs à 12 %, alors que pour d’autres, notamment dans l’Ouest (La Roche-sur-Yon, Rochefort, etc.), où le marché de l’emploi est plus dynamique, ils se situent entre 5 % et 8 %.
Se lancer implique de bien connaître la ville et son marché locatif, ou sinon de procéder à une analyse poussée. Rien d’étonnant, donc, à ce que « pour l’instant, les personnes qui le font sont plutôt des locaux », selon M. MouchelBlaisot, qui reconnaît qu’il manque encore des grands investisseurs habitant hors de ces villes ». Une poignée de sociétés civiles de placement immobilier – ces SCPI qui achètent des immeubles pour vendre des parts aux investisseurs – commencent à s’intéresser au dispositif. Par exemple la SCPI Kyaneos Denormandie, initiée en juillet. Une option pour qui ne souhaite pas se lancer seul et veut profiter de la mutualisation du risque inhérente aux SCPI. Mais ces produits étant très récents, il n’est pas encore possible d’étudier leurs performances…
NATHALIE COULAUD