L’ancien, enjeu des villes de demain

Défiscalisation, Monument historique
10/11/2021

A la faveur de la crise sanitaire, l’immobilier rénové des cœurs de villes moyennes à la cote ! La réhabilitation de ce patrimoine ancien n’a pourtant pas attendu 2020 pour accompagner la redynamisation aujourd’hui des territoires. Un enjeu fort de la ville de demain.
Bayonne, Chambéry, Beauvais, Quimper. Montauban : Grasse, quelques noms glanés sur la liste des petites et moyennes villes qui connaissent regain d’attractivité. Aujourd’hui Dans ces espaces de nouveau plébiscités, les centres historiques, un longtemps délaissés, sont aujourd’hui au cœur de multiples enjeux. Et la rénovation de leur bâti ancien accompagne leur mise en valeur. Portée par des volontés politiques locales et nationales, la réhabilitation de l’immobilier patrimonial ancien est à l’œuvre depuis plusieurs décennies, mais s’accélère ces dernières années sous l’impulsion initiatives et de conditions économiques favorables.

Miser sur le résidentiel ancien

Une évolution qui invite les investisseurs à revoir leurs stratégies. « L’immobilier résidentiel au sens large est devenu une solution pérenne, d’investissement résiliente résistante, pour employer un terme à la mode, analyse Franck Temim, directeur général du groupe CIR. Cette classe d’actifs offre une bonne protection de la valeur, ainsi que l’a démontré le stress test grandeur nature de la crise sanitaire. Le résidentiel a parfaitement passé l’épreuve. Les investisseurs, compris institutionnels, portent désormais un regard bienveillant, voire intéressé, sur cette thématique qui répond à des objectifs patrimoniaux élémentaires : la sécurité de l’investissement et un rendement très acceptable. » Reste à savoir où investir et quel type d’immobilier résidentiel privilégier. Les événements récents ont, en effet accéléré deux phénomènes déjà en marche : la métropolisationne et le retour sur le devant de la scène des villes moyennes. « Loin de s’opposer, ces deux grands sillons convergent dans le temps, observe Franck Temim. Une métropole comme Bordeaux, qui se développait de façon autonome lorsque Paris était à plus de trois heures en train, s’en est considérablement rapprochée depuis que la ligne à grande vitesse la place à deux heures de la capitale. L’avènement du télétravail permet désormais de partager son temps entre les deux métropoles. Parallèlement, des villes dites moyennes—mais je préfère parler de villes majeures — connaissent le même destin. Par exemple, Agen affiche un important développement et un très fort regain d’intérêt pour sa qualité de vie, ses infrastructures, le pouvoir d’achat immobilier qu’elle autorise…A horizon 2030, la ville ne sera plus qu’à trente minutes de Bordeaux et vingt-cinq minutes de Toulouse, ce qui va considérablement modifier la manière d’y vivre, d’y travailler, de s’y éduquer, de s‘amuser… »
Dans ce contexte, l’idée d’opter pour l’immobilier résidentiel en centre-ville, en particulier dans une ville ancien moyenne, s’impose à l’investisseur. Plus que jamais Car outre le potentiel avantage fiscal et la pertinence financière de son acquisition, cette classe d’actifs répond à sa recherche d’investissement responsable, à sa quête de sens : à l’heure où l’impact de l’activité humaine sur la planète est scruté de près, l’immobilier ancien se distingue. « Toutes les activités décarbonées sont encouragées par la puissance publique. La loi climat et résilience sanctuarise zéro artificialisation le principe de nette des sols, à l’horizon 2050. Dans cette perspective de ralentissement de l’étalement urbain, il est clair que toutes les initiatives aidant la ville à se rebâtir sur elle-même seront encouragées, à commencer par la rénovation du bâti », assure Franck Temim.

Des décennies de paupérisation

Et la tâche est vaste. De nombreuses communes françaises abritent encore en leur cœur un parc immobilier vétuste, exigeant de réhabilitation. Un lourd travail Or le constat n’est pas nouveau. Votée en 1962, la loi Malraux prônait déjà la préservation et la mise en valeur du patrimoine historique et esthétique dans les secteurs urbains à sauvegarder. Mais avec le temps, la dégradation du bâti, accentuée par des difficultés d’accès au centre-ville, par la disparition des services publics et des équipements de loisir, et par la faillite de nombreux commerces concurrencés surfaces de périphérie, par les grandes a fragilisé les cœurs de ville et signé leur désertification. « Au fil des années, la paupérisation des centres-villes anciens s’est faite de plus en plus criante, en particulier dans les petites et moyennes villes », raconte Frédéric Battle, président-directeur général d’Angelys Group. Et avec elle, l’insalubrité, le règne des marchands de sommeil, souvent l’insécurité…
En leur temps, la plupart des grandes villes ont, elles aussi, été confrontées à des centres-villes vieillissants, voire délabrés. La plupart ont fait l’objet d’importants et longs travaux de rénovation qui les ont transformées en profondeur, à l’instar de Bordeaux transfigurée grâce à la loi Malraux. « A l’exception de Marseille- qui est en train de rattraper son retard-, les grandes villes présentent aujourd’hui des centres-villes très dynamiques devenus inabordables, constate Frédéric Battle. Ces espaces sont financièrement tellement inaccessibles que les municipalités engagent maintenant des politiques sociales pour tenter d’y réinstaller une population moins riche. Plus récemment, ce fut au tour des petites et moyennes villes d’affronter des problématiques d’exode et de paupérisation de leur centre-ville. Les actifs s’en sont détournés pour la périphérie, et les centres commerciaux ont sonné le glas du commerce de proximité. Ce sont ces espaces désertés que nous travaillons actuellement. Ils foisonnent de logements devenus obsolètes, difficiles à louer. »

Une lente prise de conscience

Or si le centre-ville meurt, c’est tout le territoire alentour qui meurt. Roubaix, Poitiers, Saint-Etienne, Perpignan, Nevers, Vesoul en ont fait les frais… 11y a donc urgence à faire revivre les cœurs de ville. En y ramenant l’habitat, la culture, les commerces, les écoles, les administrations, l’emploi, en y déployant une mixité de moyens de déplacements, en donnant envie de s’y promener et en y favorisant le bien-être. Les publics pouvoirs ont commencé à prendre conscience gravitée de la du problème au début des années 2000, mais sans y apporter une réponse globale, à la hauteur des enjeux. Certes a loi Malraux œuvrait déjà efficacement à la restauration du bâti ancien de centre-ville, mais pour y ramener la vie, il fallait que les équipements suivent, il fallait des politiques cohérentes et ambitieuses. Or souvent, les mesures adoptées par les communes sont allées à l’encontre des stratégies efficaces (stationnements payants, etc.). Ainsi, la vacance commerciale s’est même aggravée après 2010 dans nombre de communes. II a fallu attendre le milieu de la dernière décennie pour qu’émerge une vraie prise de conscience institutionnelle. La question sensible de la voiture cristallise les divergences de points de vue. « Lorsque nous restaurons une ancienne maison de famille pour en faire quatre appartements, certaines villes nous imposent de créer des parkings, déplore Frédéric Battle. En hyper centre, à l’heure des mobilités douces, ce parti-pris une aberration ! A l’inverse, est d’autres communes —souvent les plus paupérisées-font le choix d’un parking central, de places de stationnement gratuites… »

L’indispensable des municipalités

Le rôle des élus est pourtant capital pour redynamiser les centres-villes », affirme Loïc Guinchard, directeur commercial de Buildinvest. Et de citer lui aussi, en exemple, Agen en soulignant « l’action publique [qui] a permis la reconquête d’un centre-ville exsangue il y a encore dix ans. Des zones piétonnes ont été créées, le stationnement facilité… Les commerçants se sont réinstallés. A Caen, la part belle faite au vélo influe directement sur l ’attractivité du centre. » Pour revitaliser municipalités leur centre-ville, doivent faciliter les l’installation des familles et le déploiement des infrastructures, du tissu économique et de la mobilité. « Et assurer la sécurité, parfois défaillante paupérisées, dans les villes souligne Frédéric Battle. Au prix de remarquables efforts, une ville comme Nîmes sort de sa mauvaise réputation et se transforme radicalement. A municipalité a engagé des actions fortes : lutte contre l’insalubrité des logements, préemption pour la mise en location des appartements, négociation des prix avec les propriétaires pour le retour des commerces…» Les exemples se multiplient, et des villes longtemps décriées entament leur métamorphose. « Sous l’impulsion de la municipalité, Toulon est aujourd’hui un chantier à ciel ouvert, décrit Franck Temim. La ville a mené une réflexion intense de rénovation, en protégeant les commerçants, en restaurant le bâti sans hésiter à détruire certains immeubles anciens pour aménager des places plus aérées, dignes d’une vie provençale. Autour de la halle gourmande réinvestie, les habitats se rénovent et la vie se réinstalle. Des sacrifices, Cela passe aussi par des contraintes fortes. Les villes subissent l’enfer des travaux sur plusieurs années. » Les villes ayant engagé des rénovations ambitieuses de leur centre urbain connaissent un beau développement, à l’instar de Dijon. Mais ce résultat ne souffre pas la demi-mesure et suppose une véritable planification. Un centre-ville ne se transforme pas en quelques années. II faut quinze à vingt ans pour en changer la physionomie, comme l’illustrent les exemples de Bordeaux, Lyon ou Montpellier.

Besoin de synergies public-privé

Outre une volonté politique ferme, cette dynamique requiert une synergie entre la sphère publique et la sphère privée. « Sans l’aide du privé, la rénovation du bâti ancien de centre-ville est impossible à mener ; les communes l’ont bien com pris », affirme Frédéric Battle. Cette action conjointe exige un dialogue constant entre tous les acteurs. Pour l’investisseur, elle est aussi une garantie que l’acquisition qu’il s’apprête à faire s’inscrit dans un projet global, pensé à l’échelle de la ville et de son périmètre d’influence, et destiné à soutenir son essor. « Lorsque nous développons un programme, nous n’y allons pas par hasard ; nous connaissons dans le détail tous les projets de la mairie », confirme Frédéric Battle.

Un arsenal de dispositifs incitatifs
La participation de la sphère privée à la redynamisation des centres urbains passe par des dispositifs fiscalement incitatifs.

Loi Malraux

Créée pour la conservation du patri moine ancien des cœurs de ville, la loi Malraux est certainement le plus pertinent d’entre eux. Elle accorde une réduction d’impôt s’élevant à 30 % du montant des travaux payés une année N pour les zones de sauvegarde, ou 22 % sans plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé (PSMV). Cette réduction n’entre pas dans le plafonnement des niches fiscales, mais est toutefois limitée à 400000euros sur quatre années glissantes de travaux. Le dispositif n’adresse pas forcément les tranches marginales d’imposition les plus hautes ; son impact fiscal peut intéresser tout investisseur. Avantage : le dispositif donne accès à de petits immobiliers de cœur de ville, idéalement placés, dont la proximité avec les commerces et les commodités constitue un atout pour la location. « Depuis sa création, le dispositif fonctionné, Malraux a bien constate Franck Temim. II a permis de flécher l’épargne vers la restauration urbaine. De nombreuses villes comme Strasbourg, ou Montpellier, Bordeaux sont entrées grâce à lui dans un nouveau chapitre de leur histoire. Aujourd’hui, c’est au tour des villes moyennes de s’emparer. » Car le Malraux reste de loin le dispositif le plus efficace pour tirer tout un quartier et redynamiser les centres urbains français. « Lorsqu’un programme Malraux est lancé dans une commune, c ‘est toute la ville qui est en mouvement ! Sans cet avantage fiscal, les centres villes auraient souvent du mal à drainer l’épargne vers leur rénovation. Quand nous avons lancé notre programme de standing à Auxerre, nous avons fait face à un certain scepticisme. Mais le dispositif Malraux a permis aux particuliers de parier sur ce projet sans grand risque de se tromper », confie Frédéric Battle.

Monument historique

Plus rare en centre-ville, le dispositif monument historique (MH) permet lui aussi de restaurer du bâti ancien. Mais alors que la loi Malraux concerne tout un secteur, le dispositif monument historique s’attache à un bâtiment. « Ce dispositif est donc peu impactant pour le centre-ville Albert, », commente Rodolphe président d’Histoire & Patrimoine, et dont la société a toutefois commercialisé des opérations en MH au cœur d’Angers, d’Arras ou de Douai.

Déficit foncier

Le régime du déficit foncier s’adresse, lui, à n’importe quel immeuble et peut donc concemer du bâti ancien de cœur de ville. II est particulièrement intéressant pour les tranches marginales d’imposition élevées. « En principe, chacun peut monter seul un projet impliquant du déficit foncier classique. Mais si les travaux impactent l’immeuble entier, notamment des par ties communes, mieux vaut passer par un opérateur », conseille Rodolphe Albert.

Denormandie

Dernier des dispositifs destinés à promouvoir la rénovation de l’immobilier ancien, la loi Denormandie a été conçue pour répondre au besoin de logement des populations. Elle offre, sous conditions de location, une réduction d’impôt calquée sur la loi Pinel : 18% maximum, à charge de réaliser des travaux représentant au moins 25 % du coût total de l’opération. Le bien doit être situé dans une commune éligible, dont la liste intègre notamment es deux cent-trente-quatre villes métropolitaines et ultramarines bénéficiaires du programme Action cœur de ville. Le Denormandie constitue donc un outil supplémentaire dans certaines communes. Une ville comme Châtellerault est ainsi éligible au Malraux, au déficit foncier et au Denormandie !
Le dispositif permet aussi d’élargir les profils patrimoniaux des investisseurs et d’ouvrir l’avantage fiscal dans l’ancien à des clients non concernés parle Malraux. « Ce dispositif a l’intelligence d’être simple, facile à expliquer, et de pouvoir être appréhendé par les opérateurs comme par les particuliers, même si le Denormandie implique des diagnostics complexes à la livraison qui peuvent être délicats pour un investisseur seul, souligne Loïc Guinchard. A la différence du Malraux, l’enveloppe les travaux sont calculés sur globale d’investissement. Leur montant est généralement très supérieur au plancher exigé, dans les dossiers sur lesquels nous intervenons. En tant que professionnels, nous allons d’ailleurs très au-delà des obligations légales. Le bien est revu de la toiture à la cave et livré comme neuf. Il n’y a donc pas de risque de requalification dans une opération menée via un opérateur. » Pourtant, peu de programmes se présentent sur le marché. Les opérateurs peinent à s’emparer du dispositif. « Nous essayons d’être exigeants sur le devenir locatif de nos opérations. Or les communes entrant dans le périmètre du Denormandie n’ont pas toujours le dynamisme locatif suffisant », regrette Rodolphe Albert. « Le Denormandie est un marqueur important du développement des territoires. En tant que tel, il adresse un message fort, affirmant que la rénovation urbaine est vraiment l’une des réponses aux enjeux de demain. Mais le dispositif ne nous apparaît pas encore tout à fait mature ; il ne s’est pas encore totalement inscrit dans son territoire. Son appropriation doit s ’envisager dans le temps long. Or ce dispositif n’a que deux ans », explique FranckTemim. Malgré un démarrage un peu poussif et peu de recul sur ses premiers résultats, l’Etat continue de miser sur le dispositif Denormandie et envisage son prolongement au-delà de 2022, selon l’annonce du président de la République le 7 septembre dernier, lors de la quatrième rencontre nationale Action cœur de ville à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. « Les récents mouvements sociaux ont porté un coup de projecteur sur la situation des habitants de territoires périurbains et pointé l ’urgence qu’il y avait à repenser la ville, note Loïc Guinchard. Cette prise de conscience ne semblait pas aussi dynamique avant. La loi Denormandie participe, aux côtés d ’autres aides, à traiter ces problématiques. »

Action cœur de ville

Parmi ces autres aides, le programme Action cœur de ville est un élément phare de la revitalisation des territoires. Lancé fin 2017, le dispositif interministériel entend redynamiser le centre des villes moyennes enfin lançant des actions conçues par les collectivités locales pour le développement économique, la rénovation de l’habitat. L’accès aux équipements et services publics. La méthode est en soi originale, puisqu’elle l’initiative l’image laisse aux collectivités, brisant décriée d’un Etat qui impose sans tenir compte des réalités locales. « L’idée consiste vraiment à renforcer la centralité. Le programme vise à rénover le bâtit ancien pour repositionner, sur le marché, du logement rénové et attractif répondant aux besoins du XXIe siècle. L’objectif ? Donner envie à des familles et à de jeunes ménages de s’installer en centre-ville plutôt riche », souligne Benjamin Martinez, responsable des relations investisseurs privés pour Action cœur de ville. Le programme s’adresse notamment aux investisseurs privés souhaitant acquérir un immeuble ancien à rénover, et prend en charge les travaux jusqu’à 1000 €/m2 de surface habitable, sous forme à la fois d’un prêt et d’une subvention. « Trois milliards [sur les cinq milliards d’euros mobilisés] ont d’ores et déjà été engagés, six mille actions lancées, quatre-vingt mille logements rénovés, et le prix des logements commence à augmenter », se réjouissait Emmanuel Macron, le 7 septembre dernier. Le chef de l’Etat a insisté sur la nécessité de continuer d’accompagner la rénovation des logements de centre-ville, annoncé la mobilisation de 350 millions d’euros supplémentaires par l’intermédiaire des fonds européens, et qualifié Action cœur de ville de modèle en matière d’action publique. Et pour ne pas briser l’élan et permettre aux équipes municipales de porter les projets tout au long de leur mandature, le programme est prolongé jusqu’en 2026. « Pour l’investisseur, miser sur l’un des territoires concernés par le programme apporte une garantie supplémentaire, la certitude que la commune est soutenue par une politique publique ambitieuse et qu’elle figure parmi les villes prometteuses », fait valoir Martinez.

Un impact visible sur les cœurs de ville

Cet arsenal d’aides publiques et de dispositifs fiscaux proposés aux investisseurs, couplé à la volonté des municipalités, est entrain de porter ses fruits.

Un bâti ancien remis à neuf

La prise en main des immobiliers anciens de centre-ville par les opérateurs spécialisés permet ainsi la livraison de logements d’une qualité équivalente à celle d’un logement neuf, notamment en termes environnemental. « Souvent, l ’architecte des bâtiments de France autorise le double vitrage, les aménagements réalisés permettent à des personnes âgées de revenir vivre en centre-ville… », témoigne Frédéric Battle. Et ce travail de rénovation s’accomplit à grande échelle. « Le dispositif Malraux impose en effet de rénover la totalité du bâtiment. Cela a un bel impact : des immeubles entiers sont transformés d’un coup, souvent même des rues entières, voire tout un quartier », ajoute Rodolphe Albert. La modernité ne se limite pas aux logements. Elle s’inscrit dans le paysage urbain, qui devient, grâce aux rénovations, un espace adapté aux modes de vie contemporains. « II ne faut plus hésiter à raser l’ancien lorsqu’il n’a pas d’intérêt particulier, afin de créer des places agréables en centre-ville », illustre Frédéric Battle.

Retour des commerces en pied d’immeuble

Les bâtiments anciens de cœur de ville disposent fréquemment d’un local commercial en pied d’immeuble. Leur réhabilitation permet donc de faire revenir l’activité économique en centre-ville, avec parfois l’appui de mesures incitatives émanant de la collectivité (financements, réflexions propriétaires menées avec les des locaux commerciaux pour une action sur les loyers…). « Les commerçants réinvestissent les lieux, confirme Frédéric Battle. Les municipalités préemptent si nécessaire les locaux pour éviter l’installation de commerces propices au blanchiment d’argent. La rénovation du bâti ancien s’inscrit comme le premier maillon de la chaîne pour supprimer la délinquance cœurs de ville où elle sévissait. » Ce retour des commerces est un facteur capital de la redynamisation des centres-villes.

Renaissance du tourisme

La rénovation et la mise en valeur architecturale du bâti ancien ont également une incidence puissante sur l’activité touristique d’une ville. La renaissance du Vieux-Nice ou de Bordeaux en témoigne. « Or le tourisme reste une aide financière majeure et un vrai moteur économique pour la France puisqu’ ’il génère près d’un million d’emplois et représente 7 à 8% du PIB », rappelle Rodolphe Albert. A ce titre, l’immobilier ancien est un vrai facteur de croissance.

Equilibrer ses forces

Cependant, les villes moyennes, ne misent pas sur un unique atout (tourisme, industrie, grande école, etc.) pour réussir leur mutation. « Albi, par exemple, a fait le choix de ne pas se transformer en ville-musée malgré son exceptionnel patrimoine architectural, commente Franck Temim. Bien que située à moins d’une heure de Toulouse, la commune ne s ’est pas non plus contentée de devenir une cité dortoir de la Ville Rose. Elle a su au contraire préserver l’équilibre entre ses qualités de pôle économique doté d’une industrie innovante, de pôle éducation, notamment avec l’Ecole desmines, et de pôle touristique classé au patri moine mondial de l’Unesco. Elle reste une ville où l ’on peut entreprendre. »

Un impact contrasté

Même dotées d’un beau patrimoine ancien, un certain nombre de petites et moyennes villes restent à l’écart de ce mouvement de renaissance. D’une part, parce que certaines d’entre elles n’ont pas accès aux dispositifs Malraux ou Denormandie.
Toutes les villes ne sont en effet pas éligibles à la loi Malraux. Le dispositif s’était moment anémient en du aux quartiers vétustes repérés par le programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), y compris dans des villes offrant moins de cachet mais ayant besoin de renouveler leur tissu urbain. Mais cette extension s’achève. II serait pourtant bon de la conserver ou de la remplacer », plaide Rodolphe Albert. Or l’accès à ces dispositifs conditionne aussi l’implication des municipalités, la politique de la ville. « Certaines mairies sont très actives, d’autres moins demandeuses, poursuit Rodolphe Albert. De façon générale, les villes éligibles à la loi Malraux sont mieux sensibilisées aux problématiques du centre-ville ».
D’autre part, même éligibles aux dispositifs fiscaux, notamment au Denormandie, certaines communes ne décollent pas, faute d’atouts suffisamment attractifs. C ’est le cas des territoires trop isolés et trop éloignés des bassins d’activité, où les actifs ne peuvent concevoir de s’installer facilement, même en télétravail. Le manque de profondeur de leur marché locatif rebute les investisseurs. « II faut des villes suffisamment attractives pour attirer locataires, commerçants, indépendants et entreprises en centre-ville, souligne Loïc Guinchard. Les communes sinistrées par quarante années de politiques ineptes mettront du temps à émerger. Quel que soit le dispositif fiscal, il ne peut suffire à lui seul pour tirer la ville de l’enlisement… » Les dispositifs fiscaux ne sont donc pas efficaces partout. Pour fonctionner, la ville doit bénéficier de conditions géographiques favorables (carrefour économique, position touristique…) et disposer de pôles de compétence de nature à attirer les talents.

Des prix qui se tiennent

Mais une fois rénové dans les règles de l’art, une fois magnifié, l’habitat des villes moyennes ne risque-t-il pas de devenir hors de prix, à l’image des centres des grandes métropoles ? « La restauration des centres historiques n ’en fait pas des villes-musées aux loyers abordables, répond Franck Temim. La réhabilitation des immeubles anciens compose un habitat urbain de qualité qui reste accessible à la population. » D’ailleurs, les biens réhabilités via les dispositifs fiscaux sont voués à la location. « En conséquence, même si leurs propriétaires appartiennent souvent aux catégories CSP+ ou ++, ce ne sont finalement pas eux qui occupent le logement, mais une population plus standard, souligne Rodolphe Albert. De surcroît, l’avantage fiscal permet de louer moins cher tout en conservant la rentabilité de l’opération. »
Les dispositifs fiscaux qui accompagnent la restauration du bâti ancien permettent au propriétaire de mettre en location des biens d’une qualité architecturale fantastique équivalents avec des loyers à ceux du Pinel, confirme Frédéric Battle. Par exemple, un T4 de 120m2dans un immeuble classé de Béziers se louera 750eurospar mois. » Selon les acteurs de l’immobilier ancien, rénover n’entraîne donc pas forcément une explosion des prix à la location. L’objectif de faire revenir les actifs des classes moyennes en cœur de ville reste donc valable. D’autant que les propriétaires poursuivent généralement la location au-delà de l’engagement légal. Quant aux prix de vente, tout dépend des biens… « Les actifs trop chers ont parfois du mal à s’écouler, observe Loïc Guinchard. Mais d’autres sont si prisés qu’ils partent “sous le manteau”, même à des prix très élevés, comme à Versailles, Honfleur ou La Rochelle. » Selon les opérateurs, il faut en tout cas compter 3000 à4000 euros minimum par mètre carré pour la restauration d’un immeuble de caractère. « Les dispositifs fiscaux permettent d’amortir ce choc », précise Rodolphe Albert.
La règle chez Buildinvest consiste à proposer un prix équivalent à celui du neuf de centre-ville, assure Loïc Guinchard. Car il est tout à fait possible d’effectuer une très belle rénovation à 3000 €/m2. Mais lorsque celle-ci dépasse les6000 €/m2sanslefoncier, cela devient exorbitant! » Quoi qu’il en soit, les villes moyennes disposent encore d’un important parc immobilier ancien à rénover. « Nous continuons d’y trouver des opportunités que nous parvenons à sortir à des prix très corrects », se réjouit Frédéric Battle.

Le fort impact de la Covid-19

Bien sûr, le regain d’intérêt à l’égard des petites et moyennes villes, exacerbé depuis le début de la pandémie, favorise leur attractivité et tire les prix immobiliers à la hausse. « Cet engouement fait bondir les prix dans ces communes jusqu’alors très abordables, avec des hausses parfois à deux chiffres en un an. Mais le retard était souvent si important que même en prenant 10%, les prix restent accessibles », estime Frédéric Battle.
II n’en reste pas moins que la crise sanitaire stimule le développement des cœurs de villes anciens, accélérant des mutations déjà en place. « La crise est venue amplifier le diagnostic et les orientations d’Action ville, cœur de en donnant un coup de projecteur beaucoup plus massif sur l’intérêt, le potentiel et l’attractivité moyennes, expliquait, des villes en février dernier, le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, directeur du programme Action cœur de ville. II y a eu une accélération de la prise de conscience que nous avions (…) encore plus besoin de ces villes “à taille humaine ”, de cette “ville du quart d’heure”, qui offrent un meilleur niveau de vie et un cadre de vie plus agréable. » Ce coup de projecteur porté sur ces territoires et leurs cœurs de ville s’accompagne d’un regain d’intérêt pour leur patrimoine, d’une envie de réinvestir un habitat et un mode de vie un peu délaissé ces dernières années. « La crise a fortement amplifié la demande de produits anciens, témoigne Rodolphe Albert. A Angers par exemple, le marché explose sur le Malraux et le monument historique. »

Nécessaire soutien des dispositifs fiscaux

Rien d’étonnant à cela ; les Français conservent un lien très fort avec leur patrimoine. «Le marché est d’ailleurs porté par l’amour qu’ils lui manifestent certains de nos distributeurs n’ont même pas besoin de parler de fiscalité : ils signent parce qu’ ’ils ont face à eux des investisseurs convaincus par les propriétés architecturales de l’immeuble et par les qualités intrinsèques d’une opération Malraux ou monuments historiques », précise Rodolphe Albert.
L’investissement en immobilier ancien avec avantage fiscal reste néanmoins encore assez mal connu, alors même que les profils ciblés par ces solutions sont assez variés. « Cette méconnaissance en freine l’essor, déplore Rodolphe Albert. En volume pourtant, nous pourrions certainement doubler notre offre si nous en avions la demande. »
Car il reste encore beaucoup à faire pour rénover le patrimoine et faire revivre les villes françaises. Pour la réussite de ce vaste chantier, les dispositifs fiscaux demeurent indispensables. «Les dispositifs fiscaux orientent les investisseurs vers des territoires où ils n’iraient en principe pas », souligne Frédéric Battle. « Sans le bénéfice des dispositifs, personne n’aurait parié sur une opération à Arras, alors que la commune profite ’une réelle demande locative. Idem à Douai ou à Armentières, deux villes soutenues par des mairies très dynamiques », admet Rodolphe Albert. Et le coût relativement modeste de ces dispositifs côté finances publiques plaide clairement pour leur maintien : « La loi Malraux coûte trente millions d’euros par an à l’Etat, tout comme le monument historique. C’est très peu comparé à ce que rapportent ces dispositifs. »
II serait aujourd’hui donc malvenu de rogner sur ces niches fiscales. « Le monument historique existe depuis le début du XXe siècle, la loi Malraux depuis 1962 : ces dispositifs ont la vie longue et vont dans le sens de l’histoire. »
Quant à la jeune loi Denormandie, le gouvernement vient de décider de lui laisser le temps de faire ses preuves. « C’est une loi adaptée au centre-ville, pensée pour rencontrer Adhésion des élus locaux… II serait absurde d’arrêter un dispositif qui vient à peine de démarrer », conclut Loïc Guinchard