Faut-il encore être inscrit au registre du commerce pour être un loueur en meublé professionnel ?

Défiscalisation, Louer en meublé
16/05/2019

Les Sages ont censuré, en février 2018, la condition d’inscription au registre du commerce de l’un des membres du foyer fiscal en qualité de loueur professionnel exigée par l’ancien article 151 septies, VII du CGI. Un an après, l’administration prend acte de cette censure. Mais la disparition de la condition au titre de 2018 pose question. Maître Duvaux, avocat fiscaliste, nous livre son point de vue.

L’inscription au registre du commerce en tant que loueur en meublé professionnel est une des conditions pour avoir la qualité de loueur en meublé professionnel (LMP).

Cette condition figure toujours à ce jour à l’article 155 du CGI.

Pourtant, cette condition a été abrogée par la décision du Conseil constitutionnel du 8 février 2018 (n° 2017-689 QPC : RJF 4/18 n° 417).

Dès lors la question peut se poser : faut-il encore la considérer comme applicable ?

L’abrogation porte bien sur la condition de l’article 155 du CGI

Le Conseil Constitutionnel n’a pas abrogé la condition d’inscription au RCS, il a abrogé cette condition telle qu’elle figurait au VII de l’ancien article 151 septies du CGI.

Mais les dispositions de l’article 151 septies, VII du CGI subordonnant la reconnaissance de la qualité de loueur en meublé professionnel à une inscription d’un membre du foyer fiscal en cette qualité au RCS ont été transférées dans des termes identiques à l’article 155, IV du même Code.

Il y a lieu de se demander si l’abrogation du Conseil constitutionnel doit être étendue à la condition telle que prévue au nouvel article 155 alors que la décision du Conseil constitutionnel ne portait que sur l’article 151 septies.

La réponse est positive car la condition y figurait exactement dans les mêmes termes et pour le même objet : définir le LMP.

Dans ces conditions, il faut appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel. Il ne peut être saisi une deuxième fois de la même question, même si elle porte sur un nouveau texte, du moins si les dispositions sont identiques, dans leur substance et dans leur rédaction (voir sur ce point conclusions Marie-Astrid Nicolazo de Barmon sous CE QPC 16-1-2015 n° 386031, Sté Métropole Télévision : RJF 4/15 n° 350).

La position récente des services fiscaux

Le Conseil Constitutionnel a pris sa décision le 8 février 2018.

Mais c’est seulement le 20 mars 2019 que l’administration a pris en compte cette décision au Bofip (actualité 20 mars 2019 http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/11732-PGP) mais de façon très sommaire.

Dans son commentaire, l’administration se contente d’indiquer :

« (…) À compter de cette décision, la condition d’inscription au RCS figurant dans les dispositions actuelles de l’article 155 du CGI n’est plus exigée pour la qualification de loueur en meublé professionnel. »

L’administration a également mis à jour sa doctrine officielle du Bofip qui, jusqu’au 20 mars, continuait d’exiger la condition d’inscription.

Mais l’administration ne donne aucune précision sur la manière d’interpréter la disparition de la condition au titre de l’année 2018.

L’article 155 figure toujours inchangé dans Légifrance

A ce jour, l’article 155 (au 1° du 2 du IV) du CGI, qui prévoit la condition, n’a toujours pas été modifié. La condition d’inscription au registre du commerce figure d’ailleurs toujours dans le code général des impôts diffusé par Légifrance.

Les enjeux

Les loueurs en meublé vont devoir faire leur déclaration des revenus au titre de l’année 2018 et en conséquence la question peut effectivement se poser de savoir s’ils doivent se considérer comme des loueurs en meublé professionnels (LMP) s’ils remplissent les deux conditions de seuil de l’article 155, mais sans remplir la condition d’inscription au RCS, ou sinon comme des loueurs en meublé non professionnels (LMNP).

La question est loin d’être anodine, et notamment pour tous ceux qui vendu des immeubles au cours de l’année 2018.

Rappelons en effet, que les ventes d’immeubles réalisées par les LMNP relèvent du régime des plus-values immobilière privées alors celles réalisées par les LMP relèvent du régime des plus-values professionnelles.

Selon les cas, il peut être plus intéressant de relever du régime des plus-values privées que de celui des plus-values professionnelles.

Ceux qui pensaient être LMNP en 2018, au motif qu’ils n’étaient pas inscrits au RCS, ont pu réaliser des plus-values, déjà déclarées comme des plus-values immobilières privées, au moment de la vente de l’immeuble. Doivent-ils modifier leur déclaration ?

Le caractère obligatoire et annuel du statut de LMP

Le régime du LMP n’est pas une option.

De plus, le respect des conditions du régime LMP s’apprécie toujours sur une base annuelle.

Une même personne ne peut être LMNP une partie de l’année, puis LMP l’autre partie de l’année. C’est un régime nécessairement annuel.

Cette position est conforme à la doctrine administrative qui évoque le fait que c’est seulement en fin d’année qu’une personne peut savoir si elle est LMP ou LMNP, ce qui peut obliger par exemple à corriger une déclaration de plus-value notariée faite par erreur en LMNP en cas de vente d’un immeuble en cours d’année (voir BOI-BIC-CHAMP-40-20 n° 470).

La décision du Conseil constitutionnel du 8 février 2018 s’applique immédiatement

La décision du Conseil constitutionnel précitée du 8 février 2018 se limite à l’abrogation de la condition et ne prévoit aucune règle particulière sur les modalités pratiques de la mise en œuvre de l’abrogation.

Dès lors, la décision est sensée s’appliquer à tous les contribuables dès sa publication, soit le 9 février 2018, mais en principe sans aucun effet rétroactif.

Rétroactivité ou pas ?

La question est donc de savoir si l’abrogation de la condition d’inscription au RCS en cours d’année 2018 doit s’appliquer au titre de l’ensemble de l’année 2018 pour les loueurs en meublé qui remplissaient par ailleurs les deux autres conditions de seuil prévues à l’article 155, compte tenu du principe de l’appréciation annuelle des conditions du régime.

Selon moi deux réponses sont possibles.

Selon une première réponse, il faut interpréter strictement la règle d’absence d’effet rétroactif et considérer alors que la condition d’inscription au RCS était encore en vigueur au titre du début de l’année 2018, de sorte que les loueurs en meublé non-inscrits au RCS ne pourraient pas être LMP au titre de l’année 2018.

Selon une deuxième réponse, pour déterminer le régime applicable en 2018, ce qui compte c’est la réglementation applicable au 31 décembre 2018 et, à ce jour, la condition d’inscription ayant été abrogée, il n’y aura pas lieu de l’appliquer au titre de l’année 2018, dans sa totalité. Les personnes non inscrites seraient LMP pour toute l’année si elles remplissaient les deux conditions de seuil.

Cette deuxième réponse reprend la solution de la « petite rétroactivité » des lois de finances. En effet, lorsqu’une loi de finances modifie un texte fiscal en fin d’année, il est admis que cette modification prend effet au titre de l’année en cours, dans la mesure où l’impôt sur le revenu est régi par la réglementation fiscale telle qu’elle existe au 31 décembre de l’année.

Il pourrait y avoir une forme d’atténuation de cette réponse, qui reprendrait les principes justement énoncés par le Conseil constitutionnel en matière de « petite rétroactivité » : application du régime LMP à toute l’année 2018, sauf en cas d’atteinte à une situation légalement acquise non justifiée par un motif d’intérêt général. Ce serait le cas par exemple d’une vente intervenue au début de l’année 2018, avant le 8 février, par une personne qui pouvait légitimement croire que sa vente relèverait du régime LMNP, et qui n’aurait pas fait la vente s’il avait su qu’il serait devenu LMP rétroactivement, par la décision du Conseil constitutionnel.

La deuxième réponse paraît plus conforme aux règles juridiques mais certains arguments d’équité vont dans le sens de la première réponse.

En effet, rappelons que les services de l’Etat n’ont pris aucune mesure pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel. Aucune modification de la doctrine n’est intervenue avant le 20 mars 2019. Par ailleurs, le texte n’a pas été modifié dans les dernières lois de finances. Pire encore, le site officiel de la République n’a toujours pas modifié le texte de l’article 155 du CGI.

La doctrine n’ayant été modifié qu’au 20 mars 2019, le contribuable peut-il l’invoquer pour justifier son statut LMNP au titre de l’année 2018 ?

En matière d’impôt sur le revenu, c’est en principe la doctrine en vigueur au 31 décembre de l’année qui est opposable (CE plén. 18-3-1988 n° 73694 ; CE 18-3-1988 plén. n° 73693 :  RJF 5/88 n° 627) sans que l’administration puisse faire valoir que cette doctrine a été modifiée entre le 1er janvier de l’année suivante et la date limite fixée pour la souscription de la déclaration de revenus (CE 26-10-1994 n° 116175, Champagne :  RJF 12/94 n° 1349 ; CE 28-11-1997 n° 145509, Naudin :  RJF 1/98 n° 75 ; CE 28-11-1997 n° 145510, Chéry).

La doctrine opposable applicable aux plus-values soumises à l’IR s’apprécie à la date de la cession.(CE 10-2-2017 n° 386221 : FR 13/17 inf. 8 p. 8)

Cependant la doctrine administrative n’est pas opposable quand elle interprète un texte de loi abrogé, de sorte que, d’un point de vue strictement juridique, la doctrine administrative n’est pas d’un grand secours pour contester l’abrogation de la condition, sauf pour les ventes intervenues avant le 9 février 2018.

Mais n’y-a-t-il pas eu une faute de l’Etat, du fait de l’absence de modification de cette doctrine avant le 20 mars 2019 ?

Le régime LMP revendiqué pour les 5 années antérieures à l’année 2018 en cas de rappel portant sur une plus-value réalisée en 2018

Prenons le cas d’un loueur en meublé, non inscrit au RCS, mais qui remplit les conditions de seuil depuis 2014, soit 5 années avant 2018.

De plus, son chiffre d’affaires au titre de la moyenne des années 2016 et 2017 est inférieur à 90 000 €.

A supposer que ce contribuable puisse être traité comme un LMP au titre de l’année, suite à l’abrogation de la condition d’inscription au RCS qui s’appliquerait pour toute l’année, ne pourrait-il pas faire valoir qu’en tout état de cause il peut revendiquer le régime de l’exonération de plus-value prévu à l’article 151 septies pour les LMP qui exerce depuis au moins 5 ans et qui ont un chiffre d’affaires moyen de moins de 90 000 € ?

Dans cette hypothèse le fait générateur de l’impôt est la réalisation de la plus-value faite en 2018. Donc il est possible de considérer que, à la date de la réalisation de la plus-value, il faut supprimer la condition d’inscription au RCS dans toutes les appréciations relatives au régime de cette plus-value.

Dans cette logique, le régime LMNP déclaré au titre des années antérieures peut être requalifié en LMP, mais uniquement pour les besoins de l’imposition de la plus-value réalisée au titre de l’année 2018.

De cette façon, ce contribuable, perdant le régime LMNP, pourrait récupérer un régime LMP lui offrant l’exonération de plus-value.

En matière sociale la condition d’inscription reste valable

C’est l’article L 611-1 du Code de la sécurité sociale qui fixe les règles d’assujettissement pour les entreprises individuelles.

Pour les loueurs en meublé, ce texte prévoit deux conditions cumulatives d’affiliation. La deuxième condition est elle-même constituée de deux sous-conditions alternatives.

Les personnes assujetties au régime des TNS sont celles dont les recettes annuelles du foyer dépassent 23 000 € et qui, soit pratiquent l’activité de meublé de tourisme, soit sont inscrites au RCS.

La question est de savoir si la condition d’inscription au RCS prévue par le texte social et renvoyant directement au texte fiscal a été abrogée ou non par la décision du Conseil Constitutionnel portant sur le texte fiscal.

Selon moi, ce n’est pas le cas.

La condition d’inscription au RCS reste encore obligatoire dans le régime social. Le texte fiscal survit, mais uniquement pour les besoins du renvoi du texte social.

En effet, le Conseil constitutionnel n’a aucunement pris position sur le régime légal prévu en matière sociale.

Et la suite ?

Autant le doute peut exister au titre de l’année 2018, autant la condition doit être considérée comme abrogée au titre de l’année 2019. Pour la bonne forme, le législateur devra intervenir pour modifier le texte de l’article 155 et supprimer la condition censée être déjà abrogée.

Devra-t-il aller plus loin et insérer une nouvelle condition pour la remplacer comme le suggère les commentaires officiels de la décision du Conseil constitutionnel.

Cela paraît inutile. Les deux conditions de seuil sont déjà largement suffisantes.

En matière sociale, il paraît également judicieux de supprimer la condition d’inscription au RCS sans la remplacer, de sorte que seuls seraient assujettis au régime des TNS les loueurs en meublé du secteur touristique réalisant plus de 23 000 € de recettes.

Maître DUVAUX, avocat fiscaliste

 

© Editions Francis Lefebvre – La Quotidienne