L’immobilier dans tous les états du droit

Défiscalisation
25/06/2018

L’immobilier, composante importante du patrimoine des Français, s’inscrit dans le champ juridique à tous niveaux. Ainsi, il passe par tous les états du droit, droit civil mais aussi fiscalité. Il mérite une attention particulière au regard des modes de détention qui l’accompagnent, tant l’indivision que la société civile, et de sa place déterminante dans les rapports familiaux, en premier lieu au sein du couple. Le tour d’horizon d’une riche jurisprudence s’impose.

Plusieurs thèmes se disputant les feux de la rampe, je donnerai la priorité au droit civil, de la banale situation des indivisaires aux arcanes des régimes matrimoniaux, entre régime primaire et communauté légale, avant d’aborder la fiscalité, et tout particulièrement la taxation des plus-values. 

Commençons donc avec l’acquisition en indivision, opération on ne peut plus banale, et pourtant toujours aussi mal maîtrisée.

Le mari, gérant de la SCI, autorisé par l’assemblée générale des associés de celle-ci, a vendu l’appartement sans que le consentement de son épouse ait été recueilli. L’épouse, qui a engagé une procédure de divorce, demande l’annulation de la vente au titre de la protection accordée par l’article 215, alinéa 3, du Code civil, selon lequel « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni ». 

Dans le sillage de la cour d’appel, la Cour de cassation subordonne l’efficacité du dispositif « à la condition, lorsque ces droits appartiennent à une société civile immobilière dont l’un des époux au moins est associé, que celui-ci soit autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ou d’une décision prise à l’unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du code civil ». 

Un droit, quel qu’il soit, mais un droit ! 

Comme « il n’était justifié d’aucun bail, droit d’habitation ou convention de mise à disposition de l’appartement litigieux par la SCI au profit de ses associés, la cour d’appel en a exactement déduit que l’épouse ne pouvait revendiquer la protection accordée par l’article 215, alinéa 3, du code civil au logement de la famille » (Cass. 1e civ., 14 mars 2018, n° 17-16.482, publié au bulletin). 

Bien que d’ordre public et rédigé, très probablement, pour s’imposer dans l’immense majorité des situations rencontrées en pratique, l’article 215, alinéa 3, du Code civil trouve donc ses limites ; la décision de la Cour de cassation invite en conséquence à la vigilance tout époux attaché au principe protecteur de la cogestion, la lettre pouvant, même ici, triompher de l’esprit. 

Il faut un droit, au sens juridique du terme, que le régime primaire puisse plier à l’ordre public ! Un droit ancré dans les statuts ou une décision des associés. Ou au moins un bail, pour que l’article 1751 du Code civil (lequel précise que le droit au bail du local qui sert effectivement à l’habitation des époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage est réputé appartenir à l’un et à l’autre) puisse pallier l’inefficacité de l’article 215, alinéa 3. 

Outre les questions liées à l’acquisition et à la vente, il arrive très régulièrement que le contentieux porte sur les travaux avec, en régime de communauté, les conséquences en matière de récompenses. 

La vente ne chasse pas le profit !

Pourtant confrontée à un cas tout-à-fait classique, savoir la récompense due à la communauté par l’époux au titre des deniers communs employés pour financer des travaux d’amélioration d’un immeuble propre, la Cour d’appel de Montpellier s’est fourvoyée en énonçant que « le bien a été vendu, de sorte que ne se trouvant plus dans le patrimoine emprunteur, la récompense doit être égale au montant de la dépense faite ». 

S’appuyant l’article 1469, alinéa 3, du Code civil, la Cour ce cassation délivre un tout autre message : en effet, « l’emprunt ayant servi à l’amélioration du bien propre [du mari], la récompense due à la communauté devait être égale au profit subsistant correspondant à l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur au jour de son aliénation » (Cass. 1e civ., 28 mars 2018, n° 16-28.025). 

Dans une autre affaire, a été rejetée la demande de partage judiciaire complémentaire au titre de la récompense due à la communauté par le mari qui aurait financé, avec des deniers communs, l’achat et la rénovation d’un bien immobilier acquis par sa mère. 

Pas de récompense pour belle-maman ! 

Après avoir rappelé qu’« une récompense n’est due à la communauté que dans le cas où un époux a emprunté des deniers communs pour servir son patrimoine propre et qu’il en est résulté un profit personnel pour cet époux » (C. civ., art. 1437), la Cour de cassation relève qu’« à tenir les allégations de [l’épouse] pour établies, les deniers communs utilisés pour l’achat et les travaux de rénovation de l’immeuble appartenant à [la mère de son mari] n’ont pas profité personnellement à celui-ci » et qu’« il n’a pas été soutenu et encore moins prouvé que celle-ci ait servi de prête-nom à son fils, de sorte qu’il n’est dû aucune récompense à la communauté » ; elle ajoute que « le dépassement par [le mari] de ses pouvoirs sur les biens communs, au profit d’un tiers, n’ouvrait pas droit à récompense » (Cass. 1e civ., 13 déc. 2017, n° 16-27.522). 

La solution, qui n’a pas été publiée, tient sans doute en partie à la démonstration peu convaincante de l’épouse – dont les arguments sont, sans aucun ménagement, qualifiés d’« allégations ». Peut-être une tentative sur le fondement d’une donation en faveur de la belle-mère aurait-elle connu meilleur sort. Avec, certes, un mode de calcul de la récompense reposant sur la seule dépense faite, mais, le cas échéant, avec aussi une possibilité d’annulation de l’opération (C. civ., art. 1422 et 1427).

Filmographie patrimoniale 

Je profite de la question des travaux, une fois n’est pas coutume, pour vous renvoyer au film de Joachim Lafosse, L’Economie du couple (2016), où le couple formé par Marie (Bérénice Bejo) et Boris (Cédric Kahn) se sépare sur fond de problèmes d’argent, avec la mère de l’épouse (Christine, jouée par Marthe Keller) qui essaie de trouver une solution en proposant à son gendre de l’employer à des travaux de rénovation. Une plongée intéressante dans le triste univers de la séparation…

 Mais avant de vous laisser filer, je vous propose un crochet par la fiscalité avec deux décisions fort instructives du Conseil d’Etat.

FISCALITÉ DES SCI : EXONÉRATION DE LA RÉSIDENCE PRINCIPALE & TRANSPOSITION DE L’ARRÊT QUEMENER

On retrouve ici la logique inaugurée par le fameux arrêt Quemener (CE, 8e/3e SSR, 16 févr. 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon) mais transposée, dans un contexte similaire, des plus-values professionnelles aux plus-values privées. C’est dans tous les cas le régime des sociétés de personnes qui s’applique – les associés assumant l’impôt de la société… dans la catégorie concernée de leur propre impôt, savoir l’impôt sur le revenu.

 Le challenge est alors d’« assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique de ces sociétés ». Dit de manière plus prosaïque, il s’agit tout simplement d’éviter une double imposition.

 Une recette plutôt technique…

 Le prix d’acquisition doit alors être :

– majoré de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l’associé qui a été ajoutée aux revenus imposés de celui-ci (antérieurement à la cession et pendant la période d’application de ce régime) et des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société en France et ayant donné lieu de la part de l’associé à un versement en vue de les combler ;

– minoré des déficits que l’associé a déduits pendant cette même période (à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu octroyer un avantage fiscal définitif) et des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l’associé. 

Le présent arrêt précise de surcroît que le prix d’acquisition des parts doit également être majoré de la quote-part des bénéfices de la société revenant à l’associé qui n’ont pas fait l’objet d’une imposition effective en application d’une disposition par laquelle le législateur a entendu accorder un avantage fiscal définitif. Cqfd. 

Une fois cette mise au point effectuée, et sans entrer dans le détail des calculs, il ressort de l’analyse des juges que la valeur d’acquisition des parts sociales étant supérieure à la valeur qui lui a été attribuée à l’occasion de la dissolution de la SCI, la liquidation de cette société n’a pas donné lieu à la détermination de gains imposables au nom du contribuable. 

L’occasion d’évoquer une toute récente réponse ministérielle est trop belle pour que je ne la saisisse pas au bond. Il s’agit, en effet, d’évoquer les droits d’enregistrement relatifs à l’une des possibilités en matière de « récupération » par les associés d’un immeuble préalablement détenu par leur société. 

Extraction

 A un député qui s’en étonnait, il a été rappelé que le versement de dividendes par la remise de biens immobiliers ne constitue pas transmission de propriété de bien immobilier à titre onéreux et dès lors n’est pas taxable aux droits de mutation à titre onéreux car « en application d’une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, la décision de distribution de dividendes constitue un acte juridique unilatéral et non un contrat » (RM Grau, JOAN 15 mai 2018, p. 4063, n° 3508).

 Il a été ensuite rappelé que l’opération, naturellement, constitue une distribution imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers – s’agissant bien sûr d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés.

L’immobilier, ni immobile ni immuable

 Ce tour d’horizon, bien qu’évidemment non exhaustif, montre assez la richesse de la matière, ainsi que les difficultés inhérentes, surtout lorsque la détention du ou des immeubles est assurée via une ou des sociétés. L’attention du praticien ne doit être que plus grande et le conseil s’en trouve nécessaire, plus que jamais, pour assurer la bonne fin des opérations et le respect des objectifs et intérêts du ou des clients.

Pascal PINEAU

– Responsable pédagogique DU IPCE
– DU Ingénierie Patrimoniale du Chef d’Entreprise
– DESS Gestion de Patrimoine de l’Université d’Auvergne